Une image sulfureuse colle à la peau du bitcoin depuis plusieurs années. Il serait l’un des outils préférés des criminels, tandis que des organisations terroristes se financeraient grâce à lui. Fantasme ou réalité ?
La première explosion du cours du bitcoin est indissociable de la montée en puissance de Silk Road, un site Web sur lequel on pouvait acheter n’importe quel type de drogue ou d’arme à feu.
Fermé par les autorités américaines en 2014, Silk Road fonctionnait sur ce qu’on appelle le Darknet, une couche de l’Internet non référencée par les moteurs de recherche.
Marchands et clients se mettaient d’accord sur une transaction via cet eBay libertaire, avant de se faire livrer chez eux par courrier.
Cannabis, ecstasy ou cocaïne, AK-47, fausses pièces d’identité, contenu pédopornographique… il y en avait pour toutes les déviances. On pouvait même y engager un tueur à gages.
Et comment payait-on ? En bitcoin, évidemment ! La monnaie virtuelle jouit alors d’une réputation de moyen de paiement anonyme. Ce n’est pas techniquement vrai, mais elle constitue un excellent moyen de brouiller les pistes, surtout une fois associée à Tor, navigateur Web grâce auquel il est quasiment impossible de tracer les connexions des utilisateurs.
En deux ans et sept mois d’existence, Silk Road aurait généré des revenus de ventes pour un montant de 9,5 millions de bitcoins et perçu plus de 600 000 bitcoins de commissions, selon les calculs du FBI.
Lors de l’arrestation, fin 2013, de son fondateur, Ross Ulbricht, un Américain aujourd’hui âgé de 33 ans, le butin représente un peu moins de 900 millions d’euros et 55 millions d’euros de commissions. De quoi l’envoyer en prison pendant deux vies (il a été condamné à une double perpétuité).
Durant son procès, le bitcoin est lui aussi sur le banc des accusés : pourquoi laisser se développer un moyen de paiement qui permet d’acheter en ligne des marchandises illégales à la barbe des autorités ?
Les développeurs du bitcoin, quant à eux, retiennent leur souffle : la fermeture de Silk Road va-t-elle entraîner une chute brutale des transactions sur le réseau ? Le bitcoin ne sert-il qu’à acheter des produits illégaux ?
Dans le documentaire de Christopher Cannucciari, Banking on Bitcoin (2017), l’informaticien Gavin Andresen raconte son soulagement quand, après avoir observé un léger ralentissement des échanges lors de la fermeture de Silk Road, il a constaté un rapide retour à la croissance. « C’était un événement important pour souligner que le bitcoin n’est pas simplement ça. C’était une minuscule part de l’économie. »
Mais le mal est fait : c’est avec l’affaire Silk Road que le grand public entend parler du bitcoin pour la première fois – et en négatif.
Le supermarché de l’horreur
De ce côté de l’Atlantique, c’est l’ancien député Les Républicains Bernard Debré qui se charge de propulser le bitcoin sur le devant de la scène en juin 2016, en demandant son interdiction à l’Assemblée nationale.
En pleine séance publique, il l’associe à la vente de drogue sur Internet et apostrophe le gouvernement : « Nous voilà devant le plus gros supermarché de l’horreur du monde. Des trafiquants en tout genre y côtoient terroristes et pédophiles. Pour payer, il suffit de disposer de bitcoins, une monnaie virtuelle qui s’achète auprès de banques en ligne. »
L’ancien ministre d’Edouard Balladur, qui assure avoir lui-même testé les procédés qu’il évoque, demande « qu’on interdise les bitcoins qui servent surtout au trafic et au blanchiment d’argent».
Sa proposition restera lettre morte. Il n’est pourtant pas le premier parlementaire à interpeller l’exécutif sur ce dossier.
Début 2014, le député UMP du département du Haut-Rhin Éric Straumann avait lui aussi suggéré une interdiction, mais en avançant le risque financier pour ses utilisateurs, du fait de la spéculation qui existait déjà autour de la cryptomonnaie ! Il est revenu à la charge en juin 2017.
Des risques relativement faibles
Plus sérieusement, l’utilisation du bitcoin par des organisations terroristes est-elle avérée ? Une étude du ministère du Trésor britannique datée d’octobre 2017 qualifie de « relativement faibles » les risques d’usage des cryptomonnaies dans le financement du terrorisme.
Début 2016, un rapport établi par Europol, une structure d’échange d’informations entre les polices criminelles européennes, stipulait déjà que « le recours au bitcoin pour les activités terroristes n’est pas confirmé par les forces de l’ordre », notamment en ce qui concerne le financement de l’État islamique (EI).
De fait, à l’exception de quelques cas isolés – une Américaine a ainsi été arrêtée en décembre 2017 pour avoir tenté d’envoyer 85 000 dollars en bitcoins à l’EI -, il semble que les cryptomonnaies n’offrent pas assez d’anonymat réel pour intéresser les terroristes.
Un rapport de la Rand Corporation, d’avril 2017, se montre tout aussi net sur ce point. Le think tank américain note en revanche que le groupe islamiste chiite Hezbollah pourrait les adopter plus facilement, en raison de sa structure décentralisée et mondiale.
Cela dit, si les terroristes tenaient particulièrement à utiliser des monnaies virtuelles, ils auraient probablement recours au zcash ou au monero, qui présentent plus de gages de confidentialité…
Selon Europol, les échanges liés à un commerce illégal ne représenteraient pas plus de 3% à 6% du volume total de transactions réalisées en bitcoin.