C’est grâce à cette technologie sécurisée et sans organe de contrôle que fonctionne le bitcoin. Mais pas seulement… La blockchain est en train de bouleverser toute notre économie. Voici comment.
Rappelez-vous l’histoire du Viagra. Les laboratoires Pfizer voulaient fabriquer un médicament contre l’angine de poitrine et ils se sont aperçus, par hasard, que leur remède avait de tout autres vertus, bien plus attrayantes.
Pour la blockchain, c’est un peu la même chose. Cette technologie a été développée en 2008 par le mystérieux Satoshi Nakamoto, qui s’est appuyé dessus pour concevoir sa monnaie virtuelle, le bitcoin. Et cette technologie est immensément prometteuse.
« C’est l’une des découvertes les plus fondamentales de l’histoire de l’informatique », s’émerveille l’Américain Marc Andreessen, pionnier de l’Internet, fondateur de Netscape.
Pour l’analyste canadien Don Tapscott, qui a signé en 2016 un livre (encore inédit en France) sur cette révolution annoncée, « la blockchain va avoir des conséquences extrêmement profondes sur l’économie mondiale, plus que l’intelligence artificielle, plus que l’énergie solaire, plus que la voiture autonome ».
De fait, la blockchain, « chaîne de blocs » en français, c’est de la dynamite. Elle risque de pulvériser toute une série de métiers et de fonctions en les rendant inutiles.
Son secret : supprimer le besoin d’un « tiers de confiance », qui garantit une transaction. Par exemple, quand un Français achète un tee-shirt sur un site américain, il ne se déplace pas aux États-Unis pour payer son dû en mains propres. Il charge un « tiers de confiance » d’authentifier l’acte et de jouer l’intermédiaire.
Cela peut être sa banque, un opérateur de carte de crédit ou encore une plateforme Internet de paiement en ligne…
Tout cela devient désormais inutile : grâce à son fonctionnement en réseau, la blockchain permet de faire l’économie d’une autorité centrale de régulation.
Un rêve libertarien en marche
Elle ébranle le métier de banquier, mais pas seulement : elle menace les professions qui enregistrent ou authentifient des contrats, des titres ou des événements, comme celles de notaire, d’huissier, d’assureur.
Elle rend superflues les plateformes Internet qui vivent de la mise en relation, comme Uber, Airbnb ou eBay. Uber ubérisé !
Idem pour les opérateurs centraux de réseaux, comme EDF dans l’électricité, l’Inpi dans la propriété industrielle ou la Sacem dans la musique.
Sans parler des services administratifs comme le cadastre, l’état civil, la carte Vitale, eux aussi jetés aux oubliettes. Et même, pourquoi pas, l’État lui-même. Le rêve libertarien est en marche !
Même les plus « numérisés » d’entre nous peuvent avoir du mal à le concevoir. Une blockchain n’a pas de chef, ne dépend de personne, ne répond à aucune autorité : c’est un simple registre informatique, géré par un programme et partagé en réseau, que chacun peut utiliser à sa guise.
Le répertoire, public, est consultable par tous, l’historique enregistré indélébile. C’est un point clé : personne ne peut effacer une opération passée ni la modifier, même d’une virgule.
Le contenu de la base de données peut être constitué de tout ce qui peut s’exprimer en code informatique : titres, contrats, adresses, noms, etc.
Mais la blockchain n’est pas un simple coffre-fort immobile. Lorsqu’on y associe des logiciels, ses super pouvoirs augmentent d’autant : elle devient capable de certifier une propriété, garantir une procédure, transférer de la valeur, authentifier des droits, partager des services, monétiser des données, tracer l’origine de chaque composant d’un produit…
Mieux, elle permet de conclure de gré à gré des « contrats malins » (smart contracts) dont les dispositions préétablies se déclenchent automatiquement et de manière sûre dès qu’un événement a lieu. Dépassés, les hommes de loi !
Par exemple, un contrat de mariage peut prévoir le versement d’une pension alimentaire en cas de divorce. Un contrat de location peut stipuler le paiement d’un loyer en cas d’utilisation de tel ou tel service par l’abonné. Et des paiements automatiques entre machines peuvent être prévus, sans intervention humaine. Les possibilités sont innombrables.
Des opérations bancaires obsolètes
Prenons la finance. Si une telle technologie avait été répandue en 2007, la crise des subprimes n’aurait sans doute pas eu lieu. Les titres truffés de crédits pourris auraient été aisément débusqués et chassés du paysage.
D’ici quelques années, préviennent les spécialistes, la blockchain va rendre obsolètes nombre de services que les banques facturent à leurs clients : transferts internationaux, activités de clearing et peut-être un jour, le trading lui-même.
Grâce à quoi, selon une étude de Santander, elle pourrait faire économiser aux banques la somme faramineuse de 15 milliards de dollars par an d’ici 2022. Revers de la médaille, de nombreux emplois sont désormais menacés : un rapport de Citigroup chiffrait en 2016 à 2 millions le nombre de postes dans les banques européennes et américaines qui pourraient être rayés de la carte dans les dix ans à venir par les nouvelles technologies financières, au premier rang desquelles la blockchain.
Parallèlement, les établissements financiers vont toutefois devoir embaucher de nouveaux profils : des experts en cryptage et en cybersécurité.
Car les banquiers, finauds, cherchent à maîtriser la technologie plutôt que d’assister passivement à son émergence. Et ils n’hésitent pas à investir pour se l’approprier.
« 2015 était l’année de la découverte, commente Emmanuel Aidoo, responsable de la stratégie Blockchain chez Credit Suisse à New York, 2016 nous a permis de prouver que la technologie pouvait tout faire. En 2017, l’enjeu était de mettre tout ça en action. »
Les Banques centrales pourraient, elles aussi, perdre leur rôle clé de caution de la monnaie.
En Suède, où la proportion de paiements par cash dans les commerces est tombée de 40 % en 2010 à 15 % en 2016, l’institut d’émission, le plus ancien au monde, réfléchit à la possibilité de remplacer la couronne par une cryptodevise garantie par une blockchain.
La BCE et la Banque du Japon ont lancé une étude conjointe sur le sujet. Plusieurs centaines de start-up financières, les fintech, sont déjà sur la brèche.
Rien qu’au troisième trimestre 2016, selon la société de conseil KPMG, 360 millions de dollars de capital-risque avaient été investis dans les entreprises qui travaillent sur la blockchain.
Anonymat électoral garanti
D’autres domaines pourraient se voir touchés. Le cadastre, par exemple. Dans certains pays, il suffit de graisser la patte d’un fonctionnaire pour faire modifier un titre de propriété. Il y a là une source endémique d’injustice et un puissant frein au développement.
Au Honduras, le gouvernement a demandé à une start-up américaine, Factom, de dresser un cadastre fondé sur la blockchain. La Grèce, la Géorgie, le Ghana s’y intéressent. Et, surprise, la Suède également, où toutes les transactions immobilières pourraient bientôt être effectuées avec des contrats blockchain.
Des applications sont encore plus inventives. À New York, des habitants de Brooklyn ont ainsi fondé une coopérative pour vendre à leurs voisins l’électricité générée par leurs panneaux solaires : cinq maisons de President Street échangent de l’énergie avec cinq autres maisons ! Ils créent, grâce à une blockchain, un réseau local autoadministré de production et de distribution d’électricité.
À Oslo, le gouvernement a mis en chantier un registre accessible aux professionnels de santé pour assurer la traçabilité et la confidentialité des parcours de soins. Une partie des services d’administration de santé deviendrait ainsi caduque.
Des élections pourraient également être organisées par ce biais, la blockchain garantissant l’anonymat du vote et empêchant tout bourrage d’urnes. Pour la désignation de candidats crédibles, cependant, elle ne sera d’aucune utilité.
La Chine est le pays du bitcoin, mais plus pour très longtemps
Du fait du prix de l’électricité, de la proximité des fabricants de puces électroniques et de son faible coût du travail, la Chine s’est imposée comme le pays incontournable du réseau bitcoin.
Là-bas s’est développé le plus gros contingent de « mineurs », des entreprises dont les ordinateurs surpuissants vérifient les transactions contre des bitcoins. La Chine représenterait 80 % du marché et ne laisserait que des miettes à l’Islande (5 %) et au Japon (3 %).
Mais jusqu’à quand ? Pékin laisse entendre qu’il compte mettre fin aux allégements fiscaux accordés aux géants du minage. Pour la Chine, l’enjeu est écologique (l’énorme consommation électrique des mineurs est tirée du charbon), mais aussi économique : après des années de croissance à deux chiffres, elle redoute les turbulences financières.
La Russie, elle, serait volontaire pour accueillir une partie du secteur.
6 étapes pour comprendre la blockchain
Étape 1
M. Block achète la maison de Mme Chaîne. Plutôt que d’aller chez le notaire, ils décident de faire valider la transaction par une blockchain. Ils remplissent les papiers sur Internet et cliquent sur Envoi.
Une blockchain est une espèce de train blindé numérique inviolable. Les données introduites dans ses wagons sont cryptées et affectées d’un code (hash). Si quelqu’un tente de les modifier, les codes sautent et la chaîne disparaît de l’ordinateur du pirate.
Étape 2
M. Block se rend sur une plateforme de change et, en un clic, convertit en cryptomonnaie la somme nécessaire à son achat. Un compte à son nom est ouvert et crédité dans la blockchain.
Chaque blockchain possède sa propre monnaie (à l’image du bitcoin). Toutes les opérations financières qui passent par elle sont réalisées et enregistrées dans cette devise, convertible en euros.
Étape 3
Un logiciel smart contract associé à la blockchain établit toutes les vérifications nécessaires. Il puise dans les données du cadastre pour s’assurer que la propriété appartient bien à Mme Chaîne,
contrôle que les diagnostics ont été effectués, etc.
M. Block et Mme Chaîne font totalement confiance à ce logiciel smart contract, car il a été validé par les acteurs concernés (État, agences immobilières, sociétés de diagnostics, etc.) et qu’il est conservé de façon inviolable, à l’intérieur de la blockchain. Il y est visible de tous, mais personne ne peut le pirater.
Étape 4
Une fois les vérifications réalisées, le smart contract donne son accord pour le changement de nom sur le titre de propriété et le transfert de l’argent vers le compte
blockchain de Mme Chaîne. Il passe ensuite le relais aux mineurs.
Les mineurs sont des particuliers (ou des entreprises), équipés de puissant matériel informatique. Dès qu’une opération se présente (plusieurs par seconde), leurs ordinateurs tentent d’en crypter les données et de les enregistrer dans la blockchain. Seul le plus rapide y parvient et est rémunéré.
Étape 5
Le plus rapide des mineurs crypte et enregistre la vente dans la blockchain. Comme ils n’ont pas pu savoir à l’avance lequel allait réaliser l’opération, ni M. Block ni Mme Chaîne n’ont pu établir de complicité. Ils sont donc sûrs que leur transaction n’a pas été piratée.
Pour être sûr d’être le plus rapide et d’emporter une affaire, un mineur devrait posséder à lui seul plus de la moitié de la puissance installée chez tous ses homologues. Compte tenu du nombre et de l’émiettement de ces derniers, les spécialistes de la sécurité estiment que c’est impossible.
Étape 6
L’opération est finie. Elle a été réalisée quasiment gratuitement. Mme Chaîne n’a plus qu’à se rendre sur une plateforme de change et à convertir en euros la somme perçue en cryptomonnaie. Aucun notaire ni aucune banque ne sont intervenus.
Qui rémunère les mineurs ? Personne ! Le système est programmé pour créditer leur compte en cryptomonnaie chaque fois qu’ils réalisent une opération. Les Banques centrales laissent faire, car les volumes de création monétaire restent modestes. Les mineurs touchent aussi une commission (minime) payée par les usagers.